Poèmes en guerre (2) - 1944 > 1945
Il semblerait qu'Hippolyte ait écrit lors de l'annonce de l'entrée en guerre puis qu'il ait ensuite laissé la plume durant toute la seconde guerre mondiale, sans doute jusqu'en 1943. Quand il reprend, il n'écrit pas à proprement parlé un poème mais un long texte en prose d'une dizaine pages écrit sur 2 ans et intitulé "les anomalies barbares". Le dernier a été écrit à la fin de la guerre, il amorce son intérêt pour les végétaux et sa première œuvre de Land Art.
(sans titre - 1939)
Trop vieux !
Je ne suis plus dupe des colères des Hommes
S'engager pour combattre,
Voilà le courage que je n'ai plus.
Les plus valeureux, les plus naïfs ?
Les plus courageux, les plus inconscients ?
Sont-ils ceux qui les défient sur les champs, dans les bois
Qui luttent contre la déraison de quelques demi-fous
Qui se sont pris pour Dieu
Peut-être n'est-ce là que lâcheté
Et que fuite
Devant l'impuissance de nos maigres efforts
Sans doute ont-ils raison
De combattre à mains nues et armes inégales
La folie qui s'empare des esprits égarés
Extrait de "les anomalies barbares" (1943 à 1945)
(…) Des questions comme des réponses mal faites / la poésie ne sert à rien / pas même à se serrer la ceinture / la guerre a raison de n'importe quelle audace littéraire / jeux de mots tronqués qui n'ont même pas le pouvoir de changer la face du monde / mots tordus, abîmés, jetés en pâture à des chiens qui les rongent / les ventres vides n'ont que leurs idéaux pour se nourrir / la vraie question est celle des armes / les audaces dorment au Pas-du-houx et tentent une paix inconfortable / les monstres gammés sommeillent à Berlin / les partis-pris se résument à deux camps qui exposeront les entrailles / la vraie réponse est celle des armes / une réponse que je refuse de toute la douleur de mes yeux qui ont vu / les réponses sont des solutions qui tranchent / la poésie ne sert à rien / elle est le refuge de ceux qui ont les paupières lourdes de sommeil / les étendards blessent et font se lever les morts / la poésie ne sert à rien / elle n'est l'espoir de ceux qui n'osent pas prendre les armes / faut-il dormir avec des fusils pour espérer la paix ? / à quoi sert d'écrire ? / le constat du monde est une redite : d'une guerre à l'autre, qui a appris quelque chose de la poésie ? / qui s'est noué à elle ? / qui l'a embrassée dans toute sa splendeur incendiaire ? / d'une guerre à l'autre la poésie n'a rien changé / elle a rendu poreuses les anomalies barbares / le sang répond au rouge et les chiens hurlent d'une cacophonie macabre / le poète n'est-il que l'illusion d'un monde qui rit de lui ? / la poésie ne sert à rien / pas même à répondre à des questions mal faites / où est l'espoir d'une riposte à tout ça ? / l'espoir n'est plus un enjeu il est en joue / il fait face à des fusils qui le lorgnent en vue d'un suicide arrangé / l'espoir n'est qu'une poésie morte car la poésie ne sert à rien (…)
Pourquoi... Parce que... (Juin 1945)
Pourquoi les oiseaux n'effraient-ils jamais les épouvantails ?
Parce qu'il manque aux épouvantails le courage d'avoir un cœur.
Pourquoi les pissenlits ne rigolent-ils jamais de leur couleur jaune ?
Parce qu'ils sont occupés à se colorier le pied en vert.
Pourquoi la poésie s'est-elle blessée un soir de juin ?
Parce qu'il faut laisser reposer les souffrances quand elles s'énervent d'une envie de trop.