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Les anomalies barbares est une une longue poésie qui proclame la mort de la poésie !

Écrit à la fin de la deuxième guerre mondiale entre 1943 et 195, ce texte fait une dizaine de pages.

Nous en mettant ici des extraits en attendant de réussir à le déchiffrer dans son intégralité - certains passages étant presque illisibles...

Extrait de "les anomalies barbares" (1943 à 1945)

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Des questions comme des réponses mal faites / la poésie ne sert à rien / pas même à se serrer la ceinture / la guerre a raison de n'importe quelle audace littéraire / jeux de mots tronqués qui n'ont même pas le pouvoir de changer la face du monde / mots tordus, abîmés, jetés en pâture à des chiens qui les rongent / les ventres vides n'ont que leurs idéaux pour se nourrir / la vraie question est celle des armes / les audaces dorment au Pas-du-houx et tentent une paix inconfortable / les monstres gammés sommeillent à Berlin / les partis-pris se résument à deux camps qui exposeront leurs entrailles / la vraie réponse est celle des armes / une réponse que je refuse de toute la douleur de mes yeux qui ont vu / les réponses sont des solutions qui tranchent / la poésie ne sert à rien / elle est le refuge de ceux qui ont les paupières lourdes de sommeil / les étendards blessent et font se lever les morts / la poésie ne sert à rien / elle n'est l'espoir de ceux qui n'osent pas prendre les armes / faut-il dormir avec des fusils pour espérer la paix ? / à quoi sert d'écrire ? / le constat du monde est une redite : d'une guerre à l'autre, qui a appris quelque chose de la poésie ? / qui s'est noué à elle ? / qui l'a embrassé dans toute sa splendeur incendiaire ? / d'une guerre à l'autre la poésie n'a rien changé / elle a rendu poreuses les anomalies barbares / le sang répond au rouge et les chiens hurlent d'une cacophonie macabre / le poète n'est-il que l'illusion d'un monde qui rie de lui ? / la poésie ne sert à rien / pas même à répondre à des questions mal faites / où est l'espoir d'une riposte à tout ça ? / l'espoir n'est plus un enjeu, il est en joue / il fait face à des fusils qui le lorgnent en vue d'un suicide arrangé / l'espoir n'est qu'une poésie morte car la poésie ne sert à rien /

 

(...)

 

la poésie ne sert à rien / elle ne fait qu'attiser l'immobilité patiente du découragement / elle n'a même plus la force de tenir un drapeau blanc dans ses bras / elle le laisse à terre / et ce sont ces mêmes chiens qui dévorent ces drapeaux / tous les drapeaux / mêmes ceux qui se font face dans des joutes ordurières / les chiens dévorent les tissus et se lèchent les babines / ils se bâfrent du blanc de la paix en nous regardant de leurs yeux froids / les chiens regardent la guerre et la guerre ne regarde rien / la guerre fait perdre leur profondeur aux mots pour mieux en aiguiser le sens / elle taille dans des syntaxes trop longues pour ne garder que le cri des ordres / elle amputent des rimes autrefois riches pour mieux savourer la pauvreté des slogans / la poésie ne sert qu'à se complaire pour elle-même / en elle-même / elle n'est devenue que moignons / les pleurs qui l'alimentent ne la font même pas pousser / Un brin d'herbe aura toujours la bravoure de se nourrir d'une seule goutte d'eau pour affronter l'aridité des déserts / la poésie, elle, est un espoir perdu / une romance qu'on aurait foulé des pieds et fichu aux ordures / la poésie reste insensible aux larmes et aux malheurs du monde / que faut-il lui donner pour qu'elle se dresse sur son séant ? / de quoi faut-il l'alimenter pour qu'elle ait l'audace qu'on la regarde ? / dans quel sens faut-il la caresser pour qu'elle s'installe dans toutes les bouches ? / la poésie est un labyrinthe enfoui sous des décombres /

 

(...)

 

l'Histoire s'oublie parfois elle-même quand elle souffre de trop de querelles / elle sombre dans l'inquiétude apaisante de quelques morts en trop et de trop de hontes / elle pourrait en rester là / elle pourrait se taire à tout jamais / elle pourrait s'enfouir sous l'immondice des corps qu'elle a laissé pourrir / elle pourrait tenter de disparaître / se laisser bouffer par d'intarissables scolopendres / elle pourrait devenir l'humus improbable qui nourrirait les vers d'une terre ensanglantée / Si elle avait l'originalité hasardeuse, l'Histoire pourrait / elle pourrait laisser la place à d'autres vers / à la passion du mots et d'autres douceurs verbales / Si elle avait la sagesse du souvenir des corps rougis de fer, l'Histoire pourrait / Si elle avait l’irrespectueuse envolée des idéaux, l'Histoire pourrait / l'Histoire pourrait, l'Histoire pourrait, l'Histoire pourrait / mais l'Histoire ne peut pas car l'Histoire s'oublie trop vite / L'Histoire n'oublie parfois qu'elle-même / Mais elle oublie aussi souvent parfois déjà également les autres / Elle se replie dans des points crustacés / des morceaux de coquilles vides / Quand l'Histoire s'oublie au point d'être quasi-morte / l'homme la réveille pour lui donner un nouveau sens / l'Homme ne peut vivre sans l'Histoire / Il a besoin d'elle pour construire ses rêves de grandeurs / pour asseoir ses rois et son florilège de princes / l'Homme a besoin d'elle pour sortir des cycles que lui propose la nature / pour effacer la rondeur des saisons / pour mieux museler la poésie qui est trop timide pour prendre la place / la poésie fonctionne en rond, elle a l'aura concentrique / c'est ce qui lui a réussie / c'est ce qui la perd / la poésie a l'aura concentrique, elle ne cherche pas la gloire / seul l'Homme rêve de grandeur incandescente / l'Homme est Celui-là / et Celui-là rêve à la place de sa poésie / il la trompe / car la poésie ne demande rien / elle se replie sur elle-même pour mieux se savourer / elle a l'aura concentrique, c'est ce qui lui a réussie / la poésie est d'une humilité folle / d'une inutilité ravageuse / d'un invisible plaisir apaisant / elle a l'aura concentrique, c'est qui la perd / on voudrait faire de la poésie la nouvelle arme du monde / mais la poésie ne se prête pas au jeu du massacre / même pour faire mine / l'éclat de la plume ou du stylo ne feront jamais résonner des canons / la poésie ne tirera jamais à boulets rouges / ceux qui ont l'âme aventureuse le feront pour elle ou avec elle / mais la poésie seule ne fera rien car la poésie ne sert à rien /

 

(…)

 

La poésie se fiche de l'Histoire, elle préfère la discrétion du vent qui la porte / La poésie se fiche des Événements, des majuscules et des clairons / elle a l'orgueil silencieux / la poésie est le récit de l'anecdote / elle ne souffre d'aucune incompréhension / la poésie ne sert à rien / la poésie n'est là que pour ceux qui la cherchent / elle est l'espoir déçu d'une paix du monde / elle est la sérénité de l’incompréhension / j'ai nourri trop d'espoir en elle / je me suis nourri de la fantaisie de ses mots, de ses tournures, de sa prose en rime / je m'en suis repu et je l'ai vomie / quand il a fallu la déglutir, la faire sortir, la forcer à ressurgir / je n'avais plus la force / la guerre m'avait mangé / la poésie est morte à l'intérieur de nous tous / la poésie est une fin et la fin est le repos du début.

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