Poésie paysanne - 1920 >1939
Après ses tentatives qui influenceront le courant surréalistes,
Hippolyte revient vers une poésie moins déconnectée du réel, plus près du terroir et de sa pratique paysanne comme ouvrier agricole.
(Souvenirs – 1920)
L'odeur de la terre était forte, d'une prégnante humidité
les fleurs étaient belles de n'être pas encore fanées.
Du labour du champ remontaient des souvenirs touchants.
et des bourrasques de vent enveloppaient la poésie de blanc
peut-être même celle d'un banc.
Un rayon de soleil égaré me fit penser à toi.
Je n'ai eu qu'à me retourner
pour te regarder.
Éloignement (1920)
Mes mains se durcissent, des cales se forment :
mes mains s'éloignent de la douceur des tiennes.
Puis...
Tes mains reprennent l'assurance des miennes,
et nous régalent de la douceur des formes.
(Sans titre - 1927)
Dieu nous a prêté sa douce terre féconde
Pour bâtir un festin saveurs d’épices blondes
Capturer son humus faire éclater ses graines
Coucher la gerbe mûre telle une amante reine
Sur les chaumes brûlants sous le soleil divin
Et savourer son ombre dans l’ivresse du vin
A genoux sur la pierre
A l’heure de l’angélus
Prions la terre mère
Dans un joyeux opus
Dieu nous a envoyé ses prolifiques eaux
Au parcours sauvage au débord des ruisseaux
Raviner nos dérives apaiser nos désirs
Son chemin sur ma peau aiguise le plaisir
D’une promesse d’un temps aux diluviennes récoltes
Que vienne Sa Grandeur pour calmer nos révoltes
(Sans titre - 1925)
Il n'y a eu qu'une pluie d'orage pour réaliser
que mes joues étaient mouillées
de la détresse de mon passé.
Il n'y a eu que cette humidité là
pour me dire que mes yeux, eux ne pleuraient pas
et qu'ils étaient contents d'être là.
(Derrière les brumes - 1926)
Fine pluie d'un automne fini.
Robe épaisse d'une brume que de longs bois dépècent.
Les arbres coupent dans le sillon du brouillard,
inventent des fantômes et d'antiques formes d'art.
(Les oiseaux de passage - 1926)
Les culs-terreux aux semelles de glaise
Ne se nourrissent pas de pavés luisants
Grinçant sous les roues d’opulents carrosses
Leurs tombereaux de fatigue dans les charrois
Ramassent la misère des maigres fagots
Elever le pain vers les mains vierges des saints
Glaner jusqu’à l’ivraie pour étouffer la faim
Le pas du paysan cherche ses escarpins d’or
Dans la trace du sabot de son cheval harassé
Ses haillons de labeur suintent l’obstination
D’une promesse de liesse en aube de satin
Son dos décharné chargé de soumission
Scrute les méandres d’une possible épiphanie
La glèbe de ses jours espère toujours
Le vol nuptial des oiseaux de passage
Changer son ténébreux fardeau
En oripeaux de lumière
(Fécondité – vers 1930 ?)
Danser sur un jardin fécond
Une déesse dans la tête
Vaciller dans les treilles
En delirium ascensionnel
Nourrir le notable et le gueux
Toujours avides de veillées célestes
Les akènes courtisent dociles le sensuel humus
Avaleur de crapauds aux œufs de perles
Fertilisant le monde au ras des pâquerettes
Pour les laisser se glisser sur un zéphyr alizée
Que navigue la graine agglutinée voyageuse
S’élevant sur le toit de nos terres ingrates
Avant de s’exploser en mille vies diaphanes
Graine ! Que tu tombes en désert
Ou en terre d’asile : exploser
Et couvrir le monde de ton aura
Quand l’homme aura enfin frémi
Délivrer ta vie telle un varan copulateur
Dans une ultime transe
Et laisser le fruit mûrir de mille caresses
(Sans titre - 1925)
Il suffit de s'abriter quelque part
Pour n'être plus nulle part
(Sans titre - 1925)
Le temps des tulipes est déjà fané
Ramassons-en les heures.
(LES MURS - 1925)
Les murs s'affranchissent.
Parfois.
Aussi timbrés que libres, ils dévorent
alors,
de leurs regards de pierre
l'immensité d'une fois.
Les murs se franchissent.
Ma foi.
Aussi faussés que durs, ils restent forts
encore,
à s'empierrer le regard
d'une démesure de l'art.
(SRUM SEL - 1925)
Les murs rêvent de murs
ils rêvent d'eux-mêmes et de mort. Sûrs.
Enfermés qu'ils sont
dans les recoins d'maçons.
Leur seul espoir
est un miroir
qui refléterait
des songes défaits.
Répétition médiane,
symétrie sans liane,
l'harmonie se brise,
monotone et grise.
Pour s'éclipser en ce miroir
au tain dolent, et presque noir,
les murs cherchent à se confondre
dans la couleur de mots plus sombres.
(Les dernières fois - 1928)
La dernière fois que je t'ai regardée
je n'ai vu ni les ombres à venir, ni les boursouflures du présent
je n'ai vu que tes yeux et ils allaient par mille.
*
La dernière fois que j'ai voulu cueillir des fleurs
c'était pour lui offrir quelques sourires d'un jaune amoureux.
Mais je n'ai réussi
ni couper par le pied tout ce jaune éphémère
ni à ôter ces pétales et leur blancheur insouciante.
J'ai donc laissé les marguerites à leur place
en me disant que je lui raconterai mon bouquet
qui nous invitera tous les deux, de quelques balades à faire.
*
La dernière fois que je me suis perdu par hasard au fond de ma tristesse
c'était pour contempler des fantômes
qui quittaient les corps d'anciennes nostalgies bleues.
*
La dernière fois que tu as parlé aux fleurs,
est-ce que les oiseaux t'ont souri ?
*
La dernière fois que tu t'es muré dans le silence
J'ai retrouvé l'inconfort de toutes nos évidences
*
La dernière fois que j'ai voulu partir en voyage
J'ai remonté nos souvenirs, ils dataient d'un autre âge
Souvenirs confus que j'ai tissés sur trois hivers et deux étés
Qui m'ont emmené loin d'ici...sans jamais bouger.
*
(Sans titre - 1927)
On nourrit les rêves comme on nourrit les espoirs,
avec des graines tombées du nid.
On sème le vent comme on s'aime en plein vent,
en soufflant du bout des lèvres.
On étale le reste de nos incompréhensions.
(Frêne, pâturages - 1928)
Presque frêle, à deux l'Hêtres plus loin,
et pourtant cyprès.
L'immobile dort, ou veille sur de breuvages ovins.
Sans n. Sans chênes. En paix.
L'immobile parle dans une langue d'oiseaux féconds,
des histoires de moutons à brouter debout, à dormir dehors,
des jacasseries de brebis aux toisons de laine et de Jason,
qui reposent le passant dans des légendes où il sent d'or.
(Sans Titres - 1923)
Le temps suspendu
comme la plante à sa tonnelle
Allonge et étire
L'impatiente ritournelle
(Sans Titres - 1923)
Promeneur,
Dans ce jardin aux multiples couleurs
Écoute le temps que les plantes ont dompté
Pour t'offrir aujourd'hui leur unique beauté
(Sans Titres - 1923)
Sur l'arbre couché, rêveur et oublieux
- Une dentelle de fougère -
À tout instant : Renaître
Banc (1928)
Deux lignes parallèles, presque infinies, qui s'arrêtent pourtant, dans leur élan, au bout d'un banc...
et reposent ainsi, les dos assis, de gens heureux de ce sur-place, d'un horizon qui leur fait face.
Banc 2 (1928)
Il suffit de s'abriter quelque part, pour n'être plus nulle part.
Il suffit de s'asseoir sur un banc pour n'être plus qu'un instant.