Poèmes en guerre (1) - 1914 > 1918
Ces poèmes ont été écrits entre 1914 et 1918, pendant le première guerre mondiale où Hippolyte sera mobilisé en tant qu’aumônier.
Il rencontrera le jeune André Breton à l’hôpital militaire Guist'hau, sur qui il aura une forte influence.
(Ruines - 1914)
La main du Très Haut
A encore fait main basse
Sur les âmes des gueux
L’étrange fange du marais
Engloutit les décombres
Des derniers trésors décapités
L’homme est un ogre
Aux mâchoires sanguinaires
Mais les enfants s’entassent
Comme des hérissons frileux
Dans des tours défenestrées
Aux corolles captivantes
Qui suivre ? Dans ce maelström
Aux abysses insondables
Quand la poudre hypocrite
A toujours le dernier mot
(Sans titre - 1914)
Sous la fureur de l’orage
Le troupeau solidaire
S’agglomère
Dans une communion des dos
(Sans titre - 1915)
Qui de nous le cœur vertueux
Qui de vous les mains satinées
Personne pour prendre son envol
Personne pour arracher un vœu
A l’hysope printanière
La soupe froide au goût amer
Trempe ses yeux dans la pierre
Où coures-tu gueux en guenilles
La guerre fera ripaille
De tes maigres entrailles
Le vent dispersera tes restes
Et la beauté disparaîtra
(Errements - vers 1915)
Ma vie sera-t-elle donc
Un éternel purgatoire
Quand retentissent les gongs
De ces cloches sans gloire
Me dévastant le cœur
Pour un parjure fécond
En ravalant ma peur
De ma semence j’ai fait don
Aux amours interdites
Mais qui doit céder le pas
Ô Amour de mes chairs
Ô Amour du Très Haut
Vos glaives ont le même reflet
La même douleur
Plongeant avec douceur
Dans la besace de mes regrets
Mourrai-je donc
Poignardé par le doute
(Fascination - vers 1915)
Des chants d’amour
S’élèvent des tranchées
Bardés de breloques
Aux rubans dérisoires
Les clavecins de leurs armes
Ont entonné des hymnes barbares
Achevant les vêpres païennes
De leurs cantiques ensanglantés
Amour de la mort !
Qu’as-tu fait de ces hommes ?
Pour leur accrocher la joie
Au bout de leur fusil
Le rire de leur chant
N’est qu’épitaphe de leurs pleurs
Essore ta voix soldat
Le violon meurt sans combat
Les nœuds de la discorde
Ont enserré les haches des bourreaux
Liquidant leur besogne
Dans une parodie de victoire
Les trois derniers (1916 - 1917) font suite à son retour de guerre où il choisit d'assumer son amour pour Eugénie et sa famille (avec la naissance de Constance). Classés dans cette série de "poèmes en guerre", ils sont aussi le reflet d'une guerre intérieure entre ses vœux de prêtre et son amour pour Eugénie, ils annoncent sa défroque.
(Reflux - Mai 1916)
La douleur du partir
N'a d'égale que la foi
Combien de fois faut-il tomber
Laisser le doute se loger
Dans les cavités de l'évidence
Le renoncement aura ma peau
Lacérée d'entailles et de lambeaux
Mais la lumière exige le martyr
Les traîtres se cachent dans des alcôves
A l'abri du tumulte des canons
Les pleutres se vendent leurs consciences
Contre une prière ou un pot-de-vin
Ni général ni cardinal
Le maître ou le marteau
La férule ou la faucille
J'ai choisi mon fardeau
Ce sera la famille
(Sans titre - vers 1916)
M’interdire la beauté
M’empêcher d’aimer
Où puiserai-je donc la force
De servir mon dessein
Seigneur
Si la porte sublime se referme
Comment atteindre la femme
Ce joyau offert aux hommes
De tes propres mains
Me priver de la poésie de la vie
M’écarter des semences de la joie
Où puiserai-je donc la sève
Vitale à mon destin
Seigneur
Si le porche de l’ignorance à jamais
Se referme sur les beautés de la femme
Pourquoi l’as-tu créée
De tes propres mains
(Naissance - 1916)
Les poings serrés, les yeux encore fermés
pour quelles merveilles, cette vie qui s'éveille ?
De cette enfant je suis le père
mais de l'Église ne suis plus guère
Pourquoi devoir choisir ?
L'un et l'autre m'emportent
Il faut pourtant fermer une porte.
Au creux de moi ces deux fontaines
toujours, ma foi, de mon manteau
feront les poches pleines.